LA CONCEPTION DU SYSTÈME PÉRIODIQUE DES ÉLÉMENTS CHIMIQUES
(extrait de « La classification périodique des éléments » de Paul Depovere)
Tout au long de son interminable prélude à la civilisation, l'homme préhistorique se servira de pierres - et entre autres du silex - pour façonner les armes et autres outils indispensables à sa survie. Jusqu'au jour où il remarqua la présence, parmi ses cailloux familiers, de «pierres» étranges, brillantes et malléables : ce sera la découverte de divers métaux, en l'occurrence l'or, le cuivre et 1'argent. Ainsi, l'homme inaugurera les âges métalliques de la civilisation en «cueillant» ces métaux natifs et en les façonnant tout d'abord par simple martelage. Mais très vite, une étape majeure sera franchie par la découverte de la fusibilité desdits métaux puis de leur métallurgie (procédés qui permettent de les produire à partir de minerais, lesquels se présentent comme des cailloux sans aucune ressemblance avec le métal qu'ils contiennent). Ce procédé permettra d'obtenir de l'étain, du plomb, du mercure et plus tard, du fer. Vint aussi, entre-temps, la découverte des alliages, par exemple le bronze qui est un alliage de cuivre et d'étain.
II semble que déjà en 1615, un alchimiste hollandais Cornelis Drebbel aurait obtenu, par pyrolyse du salpêtre, un «air» qui lui permettait de rester pendant des temps prolongés dans un sous-marin de sa conception. Historiquement, on admet plutôt que c'est Cari W. Scheele, un pharmacien suédois, qui observa, en 1771, lors du chauffage de dioxyde de manganèse en présence d'acide sulfurique concentré, le dégagement d'un gaz, l'air de vitriol, qui active grandement les phénomènes de combustion. Trois ans plus tard, Joseph Priestley découvre, par hasard, en focalisant à l'aide d'une loupe les rayons du Soleil sur de l'oxyde mercurique, qu'un gaz se dégage, l'air déphlogistiqué, lequel permet à une souris de respirer plus longtemps que dans de l'air ordinaire. Mais c'est au génie de Lavoisier que l'on doit l'interprétation correcte de toutes ces découvertes, dans un document publie en mai 1775: l'air de vitriol, l'air déphlogistiqué, ce n'est rien d'autre qu'un nouvel élément, l'oxygène, qui joue un rôle fondamental dans les processus d'oxydation, à savoir l'oxydation des métaux et des non-métaux mais aussi la respiration des animaux et des plantes.
Quant à l'hydrogène, l'air inflammable, il semble avoir été également observé dans les années seize cents comme produit d'une réaction très anciennement connue, à savoir l'action d'un acide sur un métal. Mais c'est Cavendish qui, en 1766, étudia correctement cet élément dont le nom rappelle qu'il est générateur d'eau (du grec hydros, eau et gennân, engendrer).
1772 : Cari W. Scheele, prépare le chlore par action de l'acide chlorhydrique sur le dioxyde de manganèse. Il appelle le gaz jaune verdâtre ainsi obtenu «acide muriatique déphlogistiqué» . C'est Sir Humphry Davy, un célèbre chimiste britannique, qui étudia méticuleusement ce gaz et reconnut qu'il s'agissait d'un corps simple, lequel fut appelé chlore (du grec, khiôros, signifiant vert) .
1811 : Bernard Courtois découvre l'iode de manière tout à fait accidentelle ! Ce chimiste français qui étudia avec Armand Seguin l'opium dont il isola la morphine, possédait une fabrique de salpêtre. Classiquement, le salpêtre était obtenu en exposant à l'air des résidus végétaux en décomposition additionnés de chaux. Le nitrate de calcium qui en résultait était extrait à l'eau. À la solution ainsi obtenue, il suffisait d'ajouter des cendres de bois (riches en carbonate de potassium). Après filtration et évaporation, le salpêtre (nitrate de potassium) cristallisait. Ce procédé était peu efficace car une bonne part du potassium présent dans les cendres (par ailleurs coûteuses) réagissait avec d'autres sels calciques. Courtois songea dès lors à remplacer dans un premier temps les cendres de bois par des cendres de varech si abondant en Bretagne. Courtois remarqua cependant que ce traitement par des cendres de varech faisait apparaître un dépôt visqueux au fond de ses cuves métalliques. Il fallait donc de temps à autre les nettoyer à l'aide d'acide sulfurique. Mais un jour, en 1811, Courtois avait employé de l'acide plus concentré que d'habitude: il constata que sa cuve s'emplit de magnifiques fumées violettes qui se transformaient en superbes cristaux violacés au contact des parois froides de la cuve. Cette substance, en provenance du varech, n'avait jamais été décrite auparavant. Courtois transmit ces cristaux à J.L. Gay-Lussac ainsi qu'à Sir Humphry Davy, lesquels prouvèrent qu'il s'agissait d'un nouvel élément. En raison de sa couleur, il fut appelé iode (du grec Iodes, signifiant violet).
1826 : Justus von Liebig, sidéré apprend que le pharmacien Antoine Jérôme Balard a isolé à Montpellier un nouvel élément à partir d’un sel marin particulier. L’élément en question est un liquide rouge foncé qui émet des vapeurs lourdes, dangereuses à respirer et dont l’odeur est désagréable. Il fut dès lors appelé brome (du grec brômos, signifiant fétide). On raconte que J. von Liebig se leva, se dirigea vers sa collection de produits chimiques, prit un flacon qu’il avait déposé l’année précédente et qui contenait le même liquide rouge foncé que celui de Balard et qu’il avait obtenu en traitant par le chlore la liqueur des sources de Kreusnach. Ce flacon contenait, pensait-il du chlorure d’iode. C’était en fait du brome! Et il eut bien du mal à se remettre d'être passé à côté de la découverte de ce nouvel élément.
Le carbone était connu depuis l'Antiquité sous la forme de diamant, de graphite et autres variétés amorphes. Il en va de même pour le soufre.
En 1783, Juan de Elhuyar de Suvisa, après des études de médecine et de chimie à Paris, rejoint son frère Fausto en Espagne. Tous deux parvinrent à isoler d'un minerai appelé wolfram un nouvel élément, en l'occurrence le tungstène. L'élément chrome, dont le nom évoque les composés diversement colorés auxquels il donne naissance, a été, quant à lui, découvert et isolé par Vauquelin en 1797. Un an plus tard, ce chimiste français mit en évidence un autre élément dans les béryls (émeraudes) mais celui-ci, le béryllium, ne fut réellement isolé qu'en 1828 par F.Wôhler. Sir Humphry Davy, un des pionniers de l'électrochimie, réussit, durant les années 1807-1808, à obtenir à l'état pur six autres éléments métalliques : le potassium, le sodium, le calcium, le strontium, le magnésium et le baryum, au cours de ses célèbres expériences sur la décomposition électrolytique des sels fondus. La découverte de ces métaux, dont certains s'avérèrent être de puissants réducteurs, permit d'isoler d'autres éléments encore tel le bore (J. Gay-Lussac et L. Thenard, 1808), le sélénium, le thorium, le silicium, le zirconium, le tantale (J.J. Berzelius, 1817-1829) et 1''aluminium (F. Wôhler, 1827).
Au même titre que le naturaliste suédois Cari von Linné avait conçu une classification et une nomenclature des plantes, les chimistes cherchèrent, au vu de la diversité manifeste des éléments chimiques, à élaborer un système de classement pour ceux-ci. Dès 1817, le chimiste allemand J.W. Dôbereiner avait reconnu l'existence de similitudes entre certains éléments, lesquels pouvaient apparemment être classés en « triades» : le chlore, le brome, l'iode sont des halogènes; le lithium, le sodium et le potassium sont des métaux alcalins; Le calcium, le strontium et le baryum sont des métaux alcalino-terreux etc. Chose curieuse, l'élément central de la triade présentait chaque fois une masse égale à la moyenne arithmétique de celles des deux autres. Vers 1860, une soixantaine d'éléments était connue, pour lesquels le chimiste italien S. Cannizzaro avait pu établir les poids (masses) atomiques[1]. En 1864, le chimiste anglais John A.R. Newlands proposa un système de classification des éléments suivant l'ordre croissant de leurs masses atomiques : il remarqua que le huitième élément présentait des analogies avec le premier, le neuvième avec le second etc, d'où l'idée que les éléments obéissent à une loi des octaves. Les recherches d'un critère pour un mode de classement des divers éléments chimiques s'intensifièrent.
Après avoir récolté maintes informations au sujet des 63 éléments chimiques connus à l'époque, un chimiste russe, Dimitri I. Mendeleïev, entreprit, le 17 février (1er mars dans notre calendrier) 1869, de classer ceux-ci en examinant minutieusement leurs propriétés physico-chimiques ainsi que leur valence vis à vis de l’oxygène et/ou l’hydrogène. Il constata qu’en classant les éléments par ordre de masse atomique croissante, leurs propriétés chimiques se modifient régulièrement d’un terme à l’autre pour subir à un moment donné une modification brusque ; à partir de celui-ci – que Mendeleïev place sur une nouvelle rangée horizontale (période) en dessous de la précédente – les éléments ont à nouveau des propriétés chimiques très voisines des termes correspondant à la série précédente. Ce faisant, en veillant à aligner, sous forme de colonnes les éléments à propriétés similaires, Mendeleïev n’hésita pas à inverser l’ordre du tellure et de l’iode pensant qu’il y avait erreur sur la masse du tellure. Il fut en outre obligé de laisser des places vides dans son tableau. Ainsi entre le potassium et le brome, Mendeleïev disposait de 12 éléments seulement connus à son époque à placer dans 15 cases possibles. De ce fait, il prédit l’existence de 3 éléments inconnus et il fut même capable d’en décrire avec une extraordinaire précision les propriétés chimiques.
Le gallium, découvert en 1875, le scandium (isolé en 1879) et le germanium (en 1886) lui procurèrent la joie de voir son système de classification corroboré par ces preuves !
1°) Etablir une chronologie de la découverte des éléments cités au premier paragraphe.
2°) Quels ont été les critères de classement adoptés par Mendeleïev ? En quoi son classement était-il audacieux ?
3°) Comparer la classification initiale et la classification actuelle. Quelles différences relevez-vous ?
[1] Poids atomique : masse relative d’un élément qui se combine avec une quantité choisie mais fixe d’hydrogène.